• Le maître cube d'étoiles

    «  Thomas ...tu vas pas me croire ! »
    La voix encore empreinte d'un tout proche effroi paraissait devoir inexorablement s'éteindre. 

    «  Qu'est-ce qui t'arrive donc mon Super Sigurd...t'as vu le diable ? » 

    A l'autre bout du téléphone, faussement enjoué, mais franchement inquiet par la tonalité inhabituelle de son compère, Thomas tentait de mesurer au plus vite la gravité de l'événement. 

    «  Je pense que j'ai dézingué un...comment dire...un...faut l'avouer  , une bruyante déglutition marqua le temps nécessaire à l'incroyable aveu, une sorte de E.T à la con ! » 

    Super Sigurd avait habitué son alter ego à plus de mesures quand il s'agissait de décrire une chose, un être, ou un phénomène. 

    Aussi, cette typologie « E.T à la con » , de l' espèce qu'il fuyait en temps ordinaires comme une peste surgie de la puanteur du Moyen Âge, et coupable de contaminer la raison déjà affaiblie des croyants de tout poil, cette typologie lui parut pour le moins une conversion singulière à cette altérité honnie. 

    Singulière et inquiétante perte de contrôle annonciatrice au mieux d'un homicide (ou "Eticide" ? ) qui pourrait se justifier (légitime défense contre des trucs qui de toute façon n'existent pas), ou au pire, d'une contamination par la folie de tous ces illuminés qui se perdent à jamais dans leurs visions ? 

    « Dézingué de chez dézingué?...tu veux dire flingué ? » 

    Insidieusement, ou inconsciemment, Thomas éludait la question de la nature de l'homicidé, s'il y en avait un . 

    « C'est de sa faute , je voulais juste...c'était bien une chimère de merde ... ». Sigurd préparait sa défense mais il perdait de sa superbe ordinaire. 

    Il raconta comment, au lendemain d'un repas de famille bien arrosé, pour lequel sa frangine avait stupidement convié, sans prévenir qui que ce soit , Monsieur le curé du village, « un homme bien et cultivé » ! , comment un gros cube argenté s'était posé dans le pré, à coté de sa fermette. 

    « J'ai pensé que c'était juste un ballon sonde qui avait mal tourné putain !». 

    Le registre n'évoluait guère, l'affaire était sérieuse. 

    Car ledit registre était réservé normalement aux quolibets baptisant les croyants des choses invisibles du ciel, et les héros zélés qui tournent autour de de la terre en semant à tous vents, le fric du contribuable. 

    "Et alors ? " relança Thomas qui se demandait quel rôle devait lui être dévolu dans la galère qui pointait le bout de sa proue. 

    Même si le nom d'un justicier tout de noir vêtu s'imposa par pur réflexe pavlovien à son esprit en guise de réponse, Sigurd confirma que celui qui était arrivé et sorti du cube ( un cube ! ) avec sa tête d'ampoule, ne ressemblait en rien à un hidalgo au sourire ravageur. 

    " j'ai senti tout de suite le coup foireux , un gus de chez Barnum en service commandé pour ruiner ma réputation !" 

    L'intonation devenait ferme, du moins se voulait-elle l'expression de celui qui maîtrise la situation, malgré l'évidence. 

    " il t'a dit quelque chose ?" ....Le silence des grands espaces et surtout celui du "contacté" malgré lui, indiquait la révélation d'un malaise supplémentaire. 

    Y'en a des tonnes de gonzes qui demandent qu'à faire copain-copain avec un E.T., et il fallait que ça tombe sur le plus indécrottable des descendeurs de soucoupes... 

    " Rien ...rien dit...mais j'ai compris mon gars !" 

    Le gars c'était Thomas, probablement, mais un peu aussi, l'autre, mal identifié. 

    Super Sigurd avait entendu des voix ( vu que le visiteur à soucoupe carrée ... carrée nom de dieu! ) n'avait pas de bouche apparente. 

    Des bribes de mots et la litanie habituelle des conneries accompagnant ces rencontres de type pas catholique: " amitiés"..."peuples"..."l'espace dans le temps"...." millions d'années"... " sages"..."tu veux faire un p"tit tour ?"..... 

    "l'autre cureton avec ses airs de plus saint que la moyenne, moi je te dis qu'il a foutu une putain de drogue foireuse dans son Pinard bourguignon "

    La révélation de cette conspiration-là, aussi inattendue que plausible avec cette espèce d'engourdisseur de raison, paraissait être la clé de l'affaire d'ETicide. 

    C'est que seuls "monsieur qui bénit le pain" et Sigurd, avaient bu du vin suspect. 

    Le temps que l'iconoclaste patenté aille répondre à l'appel de la nature pendant ce déjeuner qui s'éternisait, l'homme de peu de foi, sur ce coup-là, le prêtre sans reproches, avait largement eu le temps, discrètement, de mélanger au rouge beaunois , une poudre diabolique. 

    "C'est quand on a touché la base du Lem en mer de Tranquillité, et redécollé que j'ai compris que je déconnais à pleins tubes !" 

    Thomas ne put s'empêcher d'investiguer quand même un peu...en dépit de la confiance sans réserve portée à Sigurd. 

    "...touché la base du...?" 

    "Arrête tes conneries Thomas, j't vois v'nir avec ta question à la noix ...en attendant je suis dans la merde !" 

    Normal, rien de plus normal que l'élu pas vraiment volontaire d'un peuple d'en haut, puisse s'agacer de cette question vicieuse de la part d'un ami. 

    Le "LEM", c'est français non ? 

    " Quand on est ressorti du...du cube volant je savais plus où en j'en étais du délire..." 

    "Cube volant", Super Sigurd passait-il aux aveux discrètement? 

    "C'était pas plutôt un mini cinéma 3 D , vu que t'as été drogué par le curé ?" 

    Le voyageur contre son gré, un voyageur imprudent, ne saisit pas la perche tendue et il poursuivit dans l'émotion. 

    " Il me tendait ses longs bras d'imbécile heureux, et vas-y que ça se bousculait dans ma tronche..."mon frère"..."la vérité "..."rester chez toi cette nuit"..."partager"..."ère de la connaissance..." 

    Comme ça tournait franchement vinaigre, et dans un état second, Sigurd avait violemment repoussé cette apparition, cette illusion sans consistance réelle. 

    " Raide qu'il est tombé cet enfoiré de tordu...au pied du cube! " 

    Dans la cave, le drôle d'ET homicidé reposait donc raide mort (ou dans un état inconnu?). 

    "Ramène-toi vite Thomas!" 

    Sigurd, Super-désappointé, un "Zorg" plus du tout dans son élément, et surtout au 36ème dessous, attendait Thomas sur le pas de sa fermette chic, "bobo-rénovée". 

    Point de cube ou plutôt plus de cube dans le pré...Et pour cause. 

    "Embarqué en douce dans un vieux camion pendant que je surveillais l'autre zèbre! " 

    "Engourdi " par ses copains du terrain d'à côté , qui ne se contentent pas toujours de faire du jazz Manouche sous les étoiles. 

    "Tu penses bien qu' j'ai pas galopé pour les choper..." 

    Le temps que son complice arrive, véritablement complice à présent d'un...malheureux accident, les emmerdements avaient donc décidé de présenter leur lettre de créance au nouveau président élu, l'ambassadeur des Terriens auprès des cubistes. 

    " Ca va se terminer à la récup de ferraille à coup sûr bordel !" 

    C'est évidemment ce qu'il advint dans la foulée au superbe engin dépourvu de fioritures, de blason impérial, de loupiotes clignotantes, de rayon disrupteur d'espace et d'intrus.
    Un vaisseau sans chichis, aux modestes dimensions d'une ancestrale cabine des PTT. 

    Lui aussi fut dézingué, consciencieusement occis, oxycoupé par un de ces gars de la communauté, dur au mal et justement employé à cette tâche ingrate de découpe parce qu'il turbine sans broncher par tous les temps. 

    " Voyez monsieur le curé, j'y comprends rien..." 

    Les emmerdements avaient continué de déclarer leur loyauté indéfectible à Sigurd.
    Le bon pasteur en quête d'âme perdue, s'était pointé à l'improviste chez son nouvel ami, sous prétexte de lui faire dédicacer son dernier livre " Les Rapaces de l'Espace ou l'argent du contribuable brûle-t-il en apesanteur?" 

    " Par ma foi, c'est là une étrange et pauvre créature qui..." 

    Allongé près d'un tas de bois et à côté de plusieurs bouteilles d'un fameux Meursault, l'ET à tête d'ampoule émit un son strident puis se redressa d'un coup. 

    L'émissaire du Vatican entra dans une transe qui illumina son visage de premier communiant ! 

    Lui, il était dans son élément en cette singulière occurrence. 

    Imaginez un peu l'aubaine: un ressuscité ! 

    " oui mon fils..." 

    Il s'adressait visiblement au pilote de cubes et resta de longues minutes figé dans une écoute toute religieuse, acquiesçant avec une joie non dissimulée les messages silencieux. 

    " Quelle merveilleuse révélation mes enfants...il y a vraiment un., une..." 

    Monsieur le curé, considérant sûrement que le temps n'était pas encore venu, leur épargna charitablement le poids de cette bonne nouvelle.
    Pour les nouveautés et les absurdités , tueuses en série de la raison, la saturation guettait les suppliciés du soir. 

    Et Dieu sait ce qu'on est capable de faire dans ces états-là ? 

    " il veut quoi, mon père ?"...Devant le mutisme définitif de
    Stupeur Sigurd, Thomas se risqua à rompre le charme, réutilisant au passage une tournure qu'il n'avait plus prononcée depuis une éternité, hormis quand il parlait de son géniteur. 

    " Il nous quitte bientôt, le ciel donnera le signe...Allons-y " 

    Précédé d'un curé qui ouvre la voie, d'une entité de petite taille et à tête d'ampoule, les compagnons de cette étrange cordée quittèrent la cave pour gagner le pré d'à côté. 

    C'est le moment qui fut choisi par les héritiers de Django Reinhardt, qui achevait une virée manifestement fructueuse, " complètement bourrés " , constat unanimement dressé par les membres de l'opération "le premier qui voit un cube a gagné", pour croiser encore la route du petit bonhomme pas comme les autres. 

    "M'sieur Sigurd, M'sieur le curé, M'sieur , et le ch'ti gars là !" 

    Même nanti de son autorité auprès de ces gens d'une Eglise évangélique un peu différente certes, mais respectueux des "Je vous salue Marie" , l' ecclésiastique requit intérieurement le secours du Big Boss.
    Les saints eux-mêmes risquaient d'être un peu légers dans cette circonstance critique. 

    Et l'ET curieux de tout qui s'approchait des fêtards dans la pleine lumière d'un phare du camion (l'autre étant manifestement hors-service...) ! 

    " La vache il est vilain le "gadjo"...le pauv' gars...tu veux un ch'ti canon?..." 

    Il faisait nuit et une grosse étoile s'extirpa discrètement des constellations vacillantes sous le froid d'hiver. 

    Elle devint cube ( un cube bon sang!). 

    Le cube couleur d'argent , sans un bruit, se posa à quelques mètres de l'épave à moteur, borgne, dont le dernier contrôle technique devait remonter à l'invention de la roue. 

    Il absorba tranquillement en son sein l'ET qui avait failli boire sa première goulée de pinard, une piquette qui l'aurait probablement foudroyé sur-le-champ. 

    Tranquillement, vu que toute l'assemblée terrienne, bouche bée, à l'haleine chargée pour certains, fumait à l'unisson dans la nuit glaciale, comme pour un coup de sirène d'adieu quasi silencieux , hormis un "Jésus Marie Joseph..." dont on ne jurerait pas qu'il fut prononcé par Sigurd en personne! 

    Les gens de la communauté à l'esprit nomade n'allèrent sûrement pas chez les flics pour signaler cet objet "volant".
    Des objets volants, il avaient vus d'autres... et des gars "pas finis" aussi. 

    Le curé décida de garder dans le tombeau du secret de la confession d'un drôle de paroissien, ce qu'il avait vu et entendu. Sa priorité restant de stopper l'hémorragie qui vide l'église de ses infidèles croyants le dimanche, ce qui rend la messe toute anémiée. 

    Quant à Super Sigurd et Thomas, Thomas qui en avait vu, du grand n'importe quoi, et qui ne croyait donc pas davantage à ces histoires ( et surtout qui n'avait pas demandé à voir!), ils se rangèrent aux côtés de la défense du bon sens, de la raison, combat pour lequel ils ferraillaient...au quotidien. 

    Conditionné, drogué, nul ne peut affirmer sérieusement que des objets s'amusent à nous visiter. Et puis déjà battons-nous pour l'éducation correcte de nos enfants en dehors de toute chapelle ! 

    Que dès le plus jeune âge, ils sachent correctement assembler des cubes... 

     

     

     


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