•  

    Une lumière aveuglante, une onde de chic.

     

    L'élégante gantée qui dévoile à mi-cuisse la soie de sa peau nue est un sourire au goût de cerise charnue.

    Je le devine.

    Du haut de sa robe deuil modelée pour la damnation jusqu'à la croisée de ses jambes réunies, j'ose l'éternité d'un regard furtif.

     Assise, toute de désinvolture, tortionnaire habile, l'élégante anime sa jambe laissée libre d'un mouvement régulier de va-et-vient.

     

    M'invite-t-elle à retirer prestement son joli pied de la chaussure à longue pointe ? 

     

    Dans l'arène de coeur, elle pique ainsi mes entrailles pour jouir du subtil plaisir de la brûlure infligée.

     Son coup d'estoc talon aiguille me fait poser le genou à terre.

     Jouet enfin révolté de la noire veuve vaudou, je dénoue ses longues jambes et décrète l'abolition d'un esclavage résigné.

     

    Vitrifiée la pudeur!

     

    Je savoure de ma bouche initiée les mets interdits.

    Le grain délicat de sa peau parfumée, incomparable douceur tissée dans l'Eden, est un chemin exaltant de délicieuses souffrances.

    Impatient de boire le monde à l'origine, il me faut cependant ouvrir délicatement l'offrande du calice .

     

    Un songe pénètre ensuite mon âme abandonnée aux esprits, le souvenir ancestral du va-et-vient de sa jambe à la fine cheville.

     

    Nous nous unissons sans limites au rythme de cette incantation jusqu'à la transe qui délaisse nos corps après la mort.

     Balayés tous deux par le choc aveuglant du songe, une onde à la joie incandescente, il ne reste plus à l'aube que nos ombres calcinées, et point de serments sur les murs muets.

     Les cendres de la décence à peine répandues, nous célébrerons à nouveau je le sais cet holocauste divin, sur l'autel consacré en notre chambre secrète.

     

     

     

     


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  • Elle est ce territoire sans limites sur lequel jamais ne se couche le soleil et qui emprisonne notre humanité dans une nuit éternelle.

     

    Elle allume des feux, fait briller les yeux, ne laissant derrière elle que cendres et paupières closes à tout jamais.

     

    Elle est ce qui se partage le mieux au monde, un banquet funeste auquel on ne s'invite que pour affamer davantage les pauvres gens.

    Sa noce avec l'ignorance est promesse de multiplication des peines.

     

    Empire sans avenir, étincelle glaciale, mortel amphitryon.

     

    Elle est terrible la haine, elle est terrible, et séductrice.

     

    Elle déteste pourtant nos enfants.

    Ils sont les germes d'espérance.

    Et elle les craint comme la peste.

     

    C'est pour cela qu'elle se pare souvent de masques grotesques pour s'en protéger.

     

    Mais les masques doivent tomber un jour.

     

    Elle crèvera la haine, elle crèvera de respirer l'Autre à pleins poumons.

     

    Mais avant que ne se répande cette épidémie là, les faux docteurs n'auront hélas que trop grimacé leur remède absurde contre l'avenir.

     

    Contaminons au plus vite la haine.

     

     

     

     


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                                                            L'écrivain

     

    L'homme venait du futur.

     Son vaisseau étrange bourdonnait, tout à la fois ruche géante et embarcation sans voile.La coque scintillait quant à elle des feux artificiels de milliers de vers luisants.A l'opposé de cet habit de lumière, le costume terne du voyageur égaré exhalait une singulière odeur de suie.

    Les méandres des instants à venir conduisent-ils toujours l'explorateur au contact brûlant de sinueuses galeries? 

    Les étincelles générées par la propulsion sont-elles de nature à provoquer dans les structures des embarcations, d'infernales frictions spatio-temporelles que notre science expliquera un jour ?

    Elle expirait et inspirait aussi, bruyamment, à intervalles réguliers.

    Usinée à la perfection, elle semblait affirmer puissance, volonté d'acier et invulnérabilité. "Reine de l'éternité", ce nom devait orner ses flancs. Quand cessa subitement la respiration de la machinerie animale, son obsédante musique vibra encore plusieurs secondes sur mes tympans. Le naufragé me livra alors une longue confession, besoin irrépressible de libérer son esprit du poids d'observations incroyables.

     Ce témoignage hors de toutes normes connues me bouleversa. Les réalités décrites dépassaient l'entendement. Mais le plus fou des délires, l'imagination la plus débridée, ne chevauchent que rarement avec maîtrise le pur sang inconnu et imprévisible que sera demain. Notre cécité naturelle pour les siècles encore non écrits et les limites de la connaissance désarçonnent rapidement le cavalier exalté. L'homme, je le répète et l'affirme, venait du futur. Il avait osé un voyage auquel nulle personne censée ne donnerait de toute façon le moindre crédit et il s'était préparé à cette frustration. Mais ce téméraire aventurier n'avait pas anticipé la malédiction insupportable qui pèse sur des explorations contraires à l'ordre des choses. Il ne croyait plus lui-même à ce qu'il avait vu, troublé jusqu'à douter de tout, de la réalité de sa propre existence, de son histoire. Heureusement, le condamné pouvait s'apaiser provisoirement des gorgées revigorantes de mon meilleur whisky que le plus naturellement du monde il avait accepté en guise d'antidote à ses angoisses..

    Quel paradoxe que d'approcher des frontières de l'ivresse pour reprendre pied dans le territoire de la raison !

    Il but d'un trait, tout en me fixant, comme pour ne pas perdre du regard un plus dément que lui, et ne pas rompre aussi le fil ténu de notre confiance réciproque. Je pus entendre un récit qui déroulait l'incroyable périple de l'humanité jusqu'à la fin de toutes les heures, un compte de faits extraordinaires de l'homme au terme de son histoire...    

    J'appris ainsi que le véhicule momentanément mis en sommeil pouvait se mouvoir dans toutes les dimensions du temps et de l'espace à la surface du globe. Londres n'était donc ce jour qu'un point de chute parmi d'autres. Grâce au traducteur universel dont il m'avait doté, je pouvais comprendre chaque mot exprimé par ce marin qui avait parfois dérivé au gré des tumultueuses tempêtes de Chronos. Je parlais en effet une langue devenue quasiment morte pour le conquistador des continents à naître.Dire que je fus tour à tour émerveillé, effrayé, avide d'avancer encore dans ce carrousel vertigineux, le suppliant presque de n'en pas dévoiler davantage, relève de la plus élémentaire évidence.

    Voir au-delà de notre propre finitude, qui se prolonge au mieux pour les plus fervents d'entre nous par un état prétendument lumineux et apaisant, constitue pour l'esprit du mortel une faculté non seulement inconcevable, mais aussi blasphématoire.Cette connaissance est incompatible avec notre essence même. Le plus grand de tous les hommes ne voit pas guère plus loin que le bout de sa vie.

    Navigant sur les ailes de l'omnipotence par la grâce d'un vaisseau consacré par son génie scientifique, le messager semblait pourtant anéanti  par l'accomplissement de la mission. Il paraissait vivre ces instants comme les derniers, narrant l'indescriptible épopée avec fougue mais oppressé par une urgence latente.

    Quel crime inavouable  pesait donc sur sa conscience de demi-dieu?

     Son débit se faisait de plus en plus rapide à l'instar des événements ultimes qu'il me décrivait. Manifestement le temps s'accélérait, lui échappait. Dans l'immédiat, il le comptait. Nous oubliâmes alors les cités resplendissantes puis englouties, les flots de malheureux affamés errant puis conquérant les terres d'outre-espace, le secret de l'invisibilité, l'invasion d'entités menaçantes et finalement vaincues par un  imparable alliée microscopique.

    Loin d'accomplir sa montée vers une convergence toute de sagesse , l'humanité terminale présentait au contraire tous les atours de la bestialité.

    Au bout de l'odyssée, l'image de la plus vile des régressions attendait mon visiteur. Comment admettre que la succession des siècles avait porté au sommet de notre évolution une civilisation brutale, des héritiers dégénérés consommant pour leur existence quotidienne un troupeau d'êtres humains dépourvus de la moindre étincelle d' intelligence?

    A son regard embué qui fuyait maintenant le mien et se tournait obstinément vers la machine, à ses mains subitement croisées, je devinais que la confession devait se conclure par une dernière révélation, avant la demande d'absolution.Derrière ce qui faisait office de poste de pilotage, l'explorateur affaibli me guida jusqu'à une sorte de soute qu'il ouvrit d'un effleurement de main.Le secret caché dans les entrailles de la machine m'apparut d'abord dans toute son horreur.Une créature y gisait incarnant à elle seule l'effroi, de celui qui vous prive de parole tant est sans limites votre sidération.Ce pauvre hominidé aux proportions de géant correspondait en tous points aux fruits des mutations  inexplicables qu'il m'avait décrites.Comble de l'horreur, les yeux du captif brillaient encore d'une lueur de vie! L'homme de science m'expliqua comment, et contre la plus élémentaire des prudences, il avait un instant quitté l'engin inaltérable qui théoriquement le protégeait à chaque étape des éléments extérieurs, cédant ainsi à une absurde pulsion.

    Cette erreur, cette faute dans le respect d'une charte évidente, celle de ne point intervenir sur les événements, l'amena à vouloir protéger une proie à forme humaine des mains meurtrières du monstre devenu fardeau à présent.Celui-ci avait bondi dans la machine et bousculé si promptement l'explorateur qu'un mécanisme enclencha, sans contrôle, l'échappée dans les temps passés. La créature perdit rapidement connaissance sous l'effet violent de l'envol, choc que seul un équipement dont le navigateur était doté,  permettait d'atténuer l'impact.

    Incroyable ironie du sort que l'ancêtre même de cet homme abominable soit chargé de l'observer, de l'étudier et bien sûr de le déposer à nouveau dans son milieu "naturel", à l'heure qui était la sienne!

    L'épais et assourdissant mutisme derrière lequel mon hôte involontaire semblait vouloir se retrancher, m'inclinait à considérer que ses desseins risquaient de ne pas emprunter ce chemin tout tracé.Le seul pourtant conforme à la rigueur et à la morale scientifique.Je pris donc le parti de monter à l'assaut de cette muraille de silence.Mon avantage sur l'explorateur c'était de n'avoir point vécu les tourments ou toutes les sortes d'ivresse d'un aussi étourdissant périple. Même ébranlée par les incroyables révélations, ma raison restait un port d'attache encore solide.Le canot de sauvetage serait donc la machine extraordinaire, pour les deux hommes du futur.

    Il était hors de question  que la créature, notre héritière, rejoigne cirque, musée des horreurs ou sépulture éloignée des lumières de la ville, voire finisse sujette d'autopsie sous le scalpel d'un aréopage de sommités désespérément blasées. Au nom de l'ordre des choses, nous ne pouvions prendre le risque d'ajouter une pièce non ajustable dans le puzzle de l'année 1894.

    Au nom de l'humanité!

     Alors que résigné, le navigateur se portait aux commandes de son navire redevenu resplendissant , une question me vint subitement à l'esprit. Cet homme du futur, ce chercheur téméraire a-t-il une âme? S'est-elle égarée au long cours ou est-il le prototype même du docte savant du futur? Il m'avait pourtant semblé qu'il exprimait par moments  des émotions sincères.

    Une brume fluorescente nimba progressivement le vaisseau fantôme. Son dernier souffle fut une ultime et brève bourrasque qui réchauffa le parc de ma propriété encore engourdi par l'hiver naissant.Dans la nuit étoilée qui aimantait mon regard je ne vis aucun signe.Je fis de cette déception l'alibi de nature à justifier les flots de whisky qui submergèrent ma conscience jusqu'à l'aube glaciale.

     

                                                            Le voyageur

     

    La collision de matières antagonistes a libéré une énergie colossale autour de l'engin en mouvement.

    Mon histoire aurait pu s'achever dans cet événement aux allures de fin du monde. Un parfait protocole de sécurité a cependant permis l'éjection du module de survie et je suis récupéré sans encombre par une machine jumelle.La dématérialisation simultanée du petit habitacle de sauvetage laisse par contre dans les limbes mon malheureux captif des temps ultimes, ceux d'une humanité en déchéance.Il n'a pas survécu au maelstrom qui a englouti avidement siècles, minutes et secondes.A quelques minuscules parcelles d'éternité près, une orgueilleuse cité  a failli  périr sous le souffle ravageur du dragon devenu hors de contrôle.Londres ne doit donc son salut qu'à un déplacement infime de mon vaisseau  vers un territoire voisin. De retour parmi les miens, je songe à ce désastre évité d'un dérisoire cran de curseur.

     

    Une soudaine pensée, comme un état d'âme que je ne maîtrise pas non plus, prend possession de ma volonté. Je m'entends dire à haute voix: "heureusement, le futur est déjà écrit!" Même si dans mon for intérieur, je devine que la disparition de mon hôte involontaire a probablement bousculé ce bel ordonnancement. 

     

                                                               L'écrivain 

     

    Des années passèrent qui ne bridèrent point mon imagination et mes interrogations sur le devenir des sociétés humaines.Quatorze fulgurantes années mais d'interminables tours d'aiguilles derrière les cadrans opaques de vieilles horloges assoupies.

     La détonation apocalyptique de la Toungouska produisit un écho singulier dans ma mémoire.Je froissai nerveusement les pages du journal qui relatait les faits, comme pour en extraire une vérité qui m'échappait.Pourquoi devais-je relier cette lointaine et titanesque explosion aux rêves étranges qui cheminaient dans mon esprit depuis longtemps?Je ne me sentais plus que simple dépositaire d'oeuvres dont le mérite ne me revenait  pas pleinement.Comme si les visiteurs qui hantent parfois l'écrivain les nuits de pages blanches  pouvaient être autre chose que des chimères!

    Comme ce voyage dans le temps qui fut pourtant mon premier grand succès littéraire.

     La nuit suivante, j'ai d'ailleurs rêvé qu'on s'adressait à moi dans une langue inconnue. Elle disait l'avenir. Je le sais sans pouvoir l'expliquer. Du journal de la veille que j'ai sacrifié dans la cheminée sans savoir davantage pourquoi, des volutes de fumée blanche s'entremêlaient librement en spirales sans fin .Le feu dévorait le gros titre du quotidien.La  "Mystérieuse explosion sur la taïga" se  consuma sans  livrer le moindre secret, l'élu du mystère. 

     

                                                                   Le contretemps

     

    L'espace d'un battement de paupière, d'une nuit de 1894 à l'année 1908, bien à l'Est de Londres, la machine ne put franchir un autre mur du temps.

    Une froide nuit étoilée où régnait la belle constellation d'Orion, indifférente au futur qui d'un éclair était passé.

     

     

                                                                     L'apparition

     

     

    La lumière de plusieurs soleils a embrasé les cieux.

    Projeté dans les airs, Dimitri, est devenu simple duvet d'oisillon, soulevé par le rugissement  tempétueux d'un géant invisible qui le piétine rageusement. Il n'a pas la force de gémir et s'étonne de respirer encore.Presque anéanti par l'incompréhensible ouragan, il distingue cependant la goutte de métal argentée et auréolée comme une icône, qui s'est posée au sol avec douceur. Elle est rejointe par un rapace d'acier aux ailes repliées, de la taille d'une locomotive.Un homme portant un masque étrange est sorti de la goutte brillante et a disparu dans le corps de l'aigle qui  s'est auréolé à son tour avant de disparaître subitement. L'inquiétante larme du géant est devenue transparente et s'est volatilisée à son tour.Dimitri ferme les yeux.Il a survécu à ces visions de l'au-delà et ne s'est confié qu'à ses parents. D'un signe de croix l'affaire a été expédiée,  définitivement close . Des apparitions surnaturelles, un journaliste n'en aura jamais vent.

     

     

     

     

     

     

     

     

     


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  • Petit billet d'humeur, avant de me jeter à corps perdu dans les travaux domestiques..........

    Définitivement, le mercantilisme forcené est à la tradition, ce que le CO2 est au climat!
    Chaque année, bien avant Noël, je vois de vilaines galettes des rois côtoyer foie gras et bûches dans ma grande surface favorite.
    Mais bon Dieu! ( qu'il me pardonne...) laissons le temps au temps! Que font là ces "frangipanes enfévées" alors même que le divin enfant n'a pas encore pointé le bout de son minois innocent, et que le vieux bonhomme rouge en est encore à vérifier son itinéraire mondial de livraison, et sa liste de cadeaux.
    Remarquez, déjà à la Toussaint, les masques grimaçants d'Halloween se faisaient chasser par les premiers sapins artificiels enluminés dans certains magasins. Les oeufs de Pâques et autres lapinous chocolatés commencent à exproprier les masques de carnaval bien avant que ne sonnent les cloches romaines. Et que dire du début du mois de juillet, quand cartables et trousses signifient aux chaises longues, et autres maillots de bain ultra courts, qu'il est déjà temps d'actionner d'autres ficelles!

    Ce mercantilisme forcené réveille en nous cette crainte diffuse de louper quelque chose, de ne pas être à l'heure au RDV de la consommation.

    Je ne me fais aucune illusion, et je n'ai d'ailleurs aucune autorité, ni table de la Loi à brandir à la face des moutons dont je fais partie. Le sens théologique de ces fêtes n'est plus qu'un filigrane qu'il faut découvrir à la lumière d'une certaine conviction.
    Mais face à ce dérèglement du calendrier orchestré par les marchands du temple,réglé comme une horloge ( quelle ironie!) , je nous vois comme au boulot, stressés, ballottés, agités comme le lapin d'Alice au pays des merveilles et hurlant dans les rayons débordants: " chuis en r'tard, chuis en r'tard...." Du calme, à Noël, c'est la trêve............... émoticône wink


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  • Réfugié sur une chaise qui dans sa vie antérieure avait dû être blanche, mains jointes sous le menton pour une improbable prière, il considérait avec circonspection le grand saule pleureur déplumé par l'hiver.

     

    «  Toi aussi, tu m'emmerdes ! »

     

    Dans l' incroyable douceur d'un lendemain de réveillon, Albert n'avait manifestement pas l'esprit de Noël.

     

    Le soleil orangé lui réchauffait bien un peu les os, le silence relatif du jardin aux ombres allongées lui accordait certes un peu de répit, mais rien n'y faisait.

     

    Tout le reste lui pesait trop.

     

    La feinte normalité des réactions familiales depuis la révélation de sa maladie, la parade des attentions délicates qui jalonnaient son enfer, tout ce cirque l'exaspérait au lieu de le distraire.

     

    Il se défoulait un peu et ça lui faisait du bien.

     

    « En automne tu m'emmerdes avec les tombereaux de feuilles que je dois me coltiner...Et vas-y que ça retombe dés que j'ai le dos tourné ! »

     

    L'arbre amaigri par sa cure d'avant printemps ne bronchait pas.

     

    «  En été, toute la « smala » débarque et ça piaille autour du barbecue car sous le saule, «  y fait super frais » …

     

    L' accusé du jour, impassible complice de la « smala » en question refusait obstinément de se défendre.

     

    «  J'aurais mieux fait de la fermer...comme toujours ! »

     

    Albert se voûta davantage sur sa chaise en dodelinant de la tête, un peu comme ces chiens miniatures que l'on plaçait sur la lunette arrière des voitures au cœur des  années « 70 ».

     

    «  Bonjour ! » 

     

    Il se redressa à peine, la main posée sur le front comme un guerrier sioux.

     

    «  Tiens donc, un ange ! » 

     

    «  Et ta sœur... »

     

    Ce devait être un inconnu le chérubin, car personne dans l'entourage proche du redoutable Albert, le chef sioux donc, personne ne se serait risqué à cette déclaration de guerre.

     

    «  Pardon mon gars, mais t'es chez moi là ! » répliqua l'indien au jardin profané.

     

    «  J'avais remarqué, mais je viens de loin »

     

    Forcément, le propriétaire des lieux se doutait qu'un bonhomme dont les pieds ne touchent pas l'herbe et qui flotte littéralement au dessus des dernières feuilles recroquevillées du saule maudit, cet individu suspect vient un peu d'ailleurs.

     

    Il demanda quelques précisions d'état civil à ce quidam aux manières pour le moins intrusives et aériennes.

     

    «  T'es mort c'est ça ? »

     

    «  Pas plus que toi Albert »

     

    «  Pas encore... » 

     

    L'occasion était trop tentante pour Albert de faire du mauvais esprit.

     

    «  C'est votre lot à tous sur cette terre non ? » répliqua l'ange sans ailes.

     

    Le grincheux intrigué  sentit qu'il allait apprécier ce rebelle.

     

    « Chez vous on ne va pas au paradis comme tous les braves gens ? » poursuivit le juge Albert, tout à ses célestes investigations.

     

    « Dans ma galaxie , les gens ne sont pas immortels, mais presque... »

     

    « Drôle d'idée qu'une immortalité à géométrie variable »  , songea l'amphitryon du visiteur de l'infini.

     

    Il reprit l'initiative.

     

    «  Tu es venu en soucoupe ! »

     

    «  Et pourquoi pas en soupière ? »

     

    Albert imagina à quel point une soupière volante doit s'avérer finalement peu commode quand l'équipage est à la manœuvre pour un atterrissage " à la louche".

     

    Mais en inquisiteur de devoir, il insista.

     

    «  Il est où ton engin bon Dieu ! ...et au fait, c'est comment ton petit nom ?"

     

    L'extraterrestre en lévitation prit imperceptiblement un peu de hauteur.

     

    "Kiorelm" répondit-il avec une certaine fierté dans la voix, celle d'un seigneur, impénétrable.

     

    " Et ça signifie? " gloussa le jeune retraité.

     

    "Kiorelm tout simplement, et sache que je suis venu quasiment à pied"

     

    Albert ne s'étonnait plus de rien.

     

    Un spectre qui prétend venir du fin fond du cosmos, qui ne touche pas terre, habiterait donc le village d'à côté !

     

    "Ca doit être encore une histoire de trous de vers  dans l'espace ou un truc de ce genre non? " se risqua l'apprenti astrophysicien.

     

    " Pas vraiment Albert, ce tunnel magique , c'est un conte de fées, du " tutti quantique"

     

    " Tiens donc, moi qui croyais que les scientifiques bardés de Nobel  ne se trompaient presque jamais! "

     

    " Des vaisseaux ne vaudraient pas mieux qu'une citrouille, même transformée en carrosse, pour franchir ces distances  d'un point à l'autre d'une minuscule galaxie" s'amusa le voyageur confirmé.

     

    " Tu veux dire, et c'est troublant, que ces prétendus passages sont aussi réels que les chaussures de vair de Cendrillon? " questionna malicieusement Albert.

     

    " En tous cas, le peuple de ma Source n'a jamais croisés de ces prétendus chemins de traverse " 

     

    La question suivante bousculait la précédente.

     

    " Vous embarquez sur quoi alors? "

     

    " Sur tout ce qui bouge dans l'espace-temps, et parfois ce qui pense" 

     

    Albert formula l'autre question probablement par télépathie, car il resta bouche bée devant cette brève histoire d'espace-temps qui pense.

     

    " J'ai par exemple achevé la vectorisation en me catapultant sur les bras spirales d'une galaxie, vers la bordure de la vôtre, rebondissant sur une ceinture d'astéroïdes, une protubérance solaire, empruntant la foudre puis  enfin le vol d'un condor au dessus de la Cordillère des Andes,  juste avant de me présenter à toi".

     

    " Sûrement un vol de routine" songea l'espiègle terrien.

     

    Kiorelm, sur sa lancée, poursuivit.

     

    "La résonance harmonique de notre essence physico-spirituelle avec l'ensemble des cycles d'expansion de l'univers est notre propulseur.

     

    Albert ne se sentait pas l'étoffe d'un assyriologue.

     

    Bref, il ne comprenait rien.

     

    " L'astralité, pour traduire la découverte de ce grand accomplissement par le peuple de ma Source, l'astralité, c'est ce qui a permis mon voyage vers toi.

     

    Mais tel un alpiniste persévérant, il s'accrochait Albert et çà lui plaisait.

     

    Et à la renaissance de cette flamme, qui depuis trop longtemps avait déserté le regard fatigué de l'homme blessé, kiorelm sut ce qu'il devait faire pour lui.

     

    " Tu peux profiter de ce grand saut sur mes épaules, l'astralité protège ton essence vitale, ta fragilité organique " 

     

    Les yeux du prétendant au plongeon dans l'inconnu brillaient comme Sirius par une belle nuit d'hiver, limpide et froide.

     

    " Il suffit que l'un de nous deux soit initié et tu es présent comme moi au voyage, dans les ondes, la matière, la chair et la conscience.

     

    Albert se retint de bondir hors de la chaise de plastique noirci, siège habituel de son règne sur son domaine, le grand jardin.

     

    " Quel recoin du cosmos, d'une histoire, d'un moment, veux-tu vivre? "

     

    D'un trépignement mental, l'intrépide retraité prit son ticket pour ce séjour, cet instant rêvé!

     

    Il virevoltait sans douleur sur le pavé luisant , au rythme d'une musique enivrante.

     

    Il chantait aussi.

     

    La puissance et la justesse de sa voix produisaient l'enchantement alentour.

     

    Sous les feux de plusieurs rampes de lumière, il enchaînait des figures suscitant l'admiration de tous.

     

    Lorsqu'une pluie tiède dévala son visage rajeuni par le plaisir et la perfection de l'instant, il devint une étoile.

     

    Elle s'inscrivit pour l'éternité dans un autre espace-temps. 

     

    D'un pas décidé, il quitta la scène, heureux d'avoir pataugé comme un enfant turbulent dans les flaques d'eau d'un décor de magiciens.

     

    Kiorelm le posa tout en douceur sur sa chaise d'artiste, alors que le coeur de ce jeune homme revenait à la raison.

     

    Le visiteur d'un jour savait que des cellules anarchiques préparaient un vilain bouquet final dans le corps du terrien.

     

    Mais les chartes de l'astralité interdisaient au voyageur d'intervenir dans un cycle étranger. 

     

    " J'y vais Albert, à un de ces jours "

     

    Apaisé, allégé par son expérience unique, Albert ne put offrir qu'un consensuel " Joyeux Noël " à Kiorelm qui repartait déjà vers d'autres dimensions, des hauteurs invisibles,  par le biais d'un simple courant ascendant.

     

    Un nouveau trésor prit cependant place dans l' incommensurable bibliothèque mentale de l'étranger d'outre monde et il  en fredonna son air joyeux : "Sigin' in the rain" alors que déjà, il rejoignait la comète de Halley.

     

    Un ultime trait d'esprit lui permit en même temps de répondre à la question inquiète qu'Albert lui adressait en regardant le soleil.

     

    " On se revoit quand ? "

     

    " L'année dernière, si tout va bien..."

     

     

    https://www.youtube.com/watch?v=w40ushYAaYA

     


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